« Je suis né dans une petite ville calme. Je le sais car j’y suis parfois revenu. Un promontoire domine le fleuve qui s’en va vers l’ouest. La plaine est riche et la lumière très douce. Lorsque nous prenons le train puis le grand bateau je ne sais pas encore lire. J’ai 5 ans et j’ignore que les 15 années suivantes se passeront si loin.
Dix jours de traversée. C’est là que commencent les noces avec le bleu. D’abord gris, puis métallique, il devient cobalt intense au milieu de l’océan et il est presque turquoise lorsqu’on sent l’odeur de l’île et que les oiseaux reviennent planer à la poupe. Le matin suivant c’est le vert qui grossit jusqu’à boucher l’horizon.
Je vis sur les flancs d’un volcan dans ce vert gonflé de lumière. Les habitants sont noirs.
Certains après-midi, nous jouons dans la forêt et l’odeur du souffre descend de la montagne jusqu’à nous provoquer les narines. On pense alors à des choses graves. Dans chaque famille qui vit sur ces pentes le récit du drame de l’île voisine est présent dans les mémoires. Si l’odeur persiste, si elle est accompagnée d’une micro secousse sismique, nous rentrons alors à la maison à toute allure. Les adultes font les fiers, mais je suis certain qu’ils y pensent aussi. Et puis le volcan se calme pour ne pas indisposer les fleurs.
La terre est rouge sombre, elle colle aux doigts. Les nuages restent bloqués des heures. Un bateau passe derrière la fenêtre de la classe. Le dimanche, je cours sur les rochers et je me jette au milieu des poissons. Les soirs il n’y a que peu de lumière et les nuits sont encore plus belles que les jours.
Je prends l’avion pour rentrer. J’ai 20 ans. J’habite une ville grise pas très loin de l’océan, puis une autre sur le fleuve. Rose. Les habitants sont blancs.
Ils sont pressés. Ils m’ennuient. Alors je repars.
C’est en roulant sur les sierras brûlantes que je comprends que je viens de me jeter dans les bras de la peinture. L’or d’un Fra Angelico contemplé dans un musée, la pâleur d’un Greco dévoré dans l’ombre fraîche d’une sacristie baroque trottent dans ma tête. L’Afrique ne me les fera pas oublier. Et à mon retour je cours de Goya à Turner et de Giotto à Durer. J’ignore tout de Bacon et de Rothko. Ils sont en train de travailler. Mon musée virtuel est déjà construit et le désir est vivace.
C’est en été, dans une île de granit que je l’ai acheté ce crayon et depuis il est dans ma poche. Ne me demandez pas pourquoi. Au trait, il faudra vite ajouter la couleur. Je fais de l’aquarelle. Puis quelques toiles.
Dorénavant ma peinture s’enroule autour du mot. Chaque tableau porte un mot-titre différent. Il y a eu les péchés capitaux, des fleuves, des personnages, des adjectifs, des substantifs, de l’anglais, de l’espagnol. Une recherche tous azimuts pour faire vivre une idée simple : peindre un mot comme l’on peindrait un portrait ou un paysage. Afin de poursuivre j’ai décidé de réaliser plusieurs toiles sur un même mot. Acceptera-t-il différentes approches picturales, des rendus multiples, plusieurs formats ? Aura-t-il une palette dominante ou s’accommodera-t-il de ce qui est sur ma table ? Sera-t-il à ma main ou indocile ?
J’ai choisi OUEST. Il semble propice à la tentative. OUEST est un mot ouvert. Sa géographie incertaine et mouvante ne saurait tenir en une seule toile. La douceur de sa sonorité, que j’entends bien ronde, pourrait guider ma main vers d’autres gestes ou l’usage d’autres outils. OUEST a-t-il un début et une fin ? Est-ce un espace ou une forme molle et envahissante ? une tempête d’hiver, un désert brulant ? Est-il niché dans un haiku de John Cage ou dans la folie des doigts d’Ahmad Jamal ? Est-t-il le rivage des Syrtes? Couche-t-il avec la lune les nuits de grand soleil ? Vous l’aurez compris on va arpenter une « terra incognita ». Une navigation à l’estime au-delà de l’horizon où le voyage sera fait de ce que l’on trouvera. ″
Alain Galaup est décédé le 28 aout 2015.
CULTURE POP – Alain Galaup
cilaos – 162 x 114 cm